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Matvision : un système de tri et de recyclage révolutionnaire

Convertir les déchets industriels en véritables ressources, telle est la mission que s’est donnée la spin-off liégeoise Matvision. Avec son système de tri robotisé, elle propose une solution inédite de recyclage. Une technologie wallonne unique au monde.

C’est une histoire déjà longue de dix ans. Dix années de recherche, de développement et d’innovations au sein du laboratoire GeMMe (Géoressources, Génie Minéral et Métallurgie extractive) de l’ULiège, sur les hauteurs du Sart Tilman. Et c’est là qu’est né un système révolutionnaire de tri robotisé de déchets industriels. Cette technologie innovante combine des capteurs ultra rapides (rayons X, infrarouge, laser et 3D), l’intelligence artificielle et la robotique pour optimiser la valorisation de déchets industriels comme les métaux broyés. Ce qui permet de détecter et de séparer efficacement différents types de matériaux améliorant ainsi le recyclage et réduisant l’impact environnemental. De ce projet universitaire naîtra en 2024 la spin-off Matvision. « Faire du recyclage de déchets consiste avant tout à les séparer », explique Robert Baudinet, cofondateur et CEO de Matvision. « En permettant aux recycleurs de trier un mélange de déchets et d’isoler chaque famille de matériaux individuellement, nous facilitons la réutilisation de ces matériaux comme matières premières dans l’industrie ». Une approche qui permet, non seulement de maximiser le recyclage, mais aussi de répondre aux besoins spécifiques des industriels de ce secteur et des producteurs souhaitant intégrer davantage de matières recyclées dans leurs flux de production. La solution développée par la start-up répond donc à un réel besoin du marché. Et comme le dit Eric Pirard, professeur ordinaire au laboratoire GeMMe, « en se positionnant comme pionniers des techniques robotiques de tri des métaux, les ingénieurs wallons peuvent espérer jouer un rôle de tout premier plan dans le développement de l’économie circulaire à l’échelle internationale ».

Différentes nuances de gris

Mais d’où vient cette idée ? « Ce sont les industriels qui nous ont mis au défi de voir la différence entre toute une série de métaux », répond Eric Pirard. « La plupart des métaux sont gris. Ils nous ont dit: ‘Etes-vous capables de voir des choses que nous ne voyons pas ?’ Et nous avons mobilisé tous les capteurs et les senseurs possibles pour essayer de voir les nuances entres une série d’alliages ». A l’origine chercheurs au laboratoire GeMMe, les fondateurs de Matvision ont bénéficié du soutien de l’écosystème entrepreneurial liégeois pour faire mûrir leur projet. Celui-ci les a menés à la première place du concours européen EIT Jumpstarter. Avec une vision devenue concrète, l’équipe a été accompagnée par le coaching financier A6K afin d’affiner son positionnement et son modèle économique.

Une solution adaptable

Le développement de cette innovation a été mené en collaboration avec des partenaires industriels, le Groupe Comet, un des leaders dans le tri des déchets ferreux à Mons et Cilyx, spécialiste de machines spéciales à Liège. Partenaire de la première heure du laboratoire GeMMe, le Groupe Comet a réalisé la première validation industrielle de cette solution de tri robotisée en investissant, en 2021, 10 millions d’euros (bâtiment et équipements) dans un démonstrateur industriel, une chaîne de 16 robots trieurs avec une capacité de tri de 20.000 tonnes de déchets métalliques par an (soit 1 milliard de pièces au rythme de 16 pièces triées à la seconde). Baptisé Multipick, cet investissement industriel a été réalisé avec le soutien de la Wallonie, dans le cadre de la Reverse Metallurgy du Pôle Mecatech, et des fonds européens FEDER. « Comme chaque cas est différent, nous avons constaté qu’il n’existait pas de machine ‘sur étagère’ pour traiter les déchets industriels », reprend Robert Baudinet. L’équipe d’ingénieurs a donc développé une solution qui s’adapte et se configure selon les besoins du client et les cas d’application. D’abord développée en laboratoire universitaire, cette technologie de tri robotisée a ensuite été validée en conditions industrielles chez Comet où elle fonctionne 24 heures sur 24 depuis 2023. « Chez Comet, nous nous sommes trouvés face à un grand mélange de métaux vendus à l’exportation et triés manuellement en Chine. Désormais, notre technologie lui permet de réaliser localement un tri afin de récupérer ces métaux ». Depuis lors, d’autres industries se sont montrées intéressées pour tester les performances de ces machines et voir les niveaux de qualité qu’elles sont capables d’atteindre avec ces systèmes.

Un tri intelligent pour un meilleur recyclage

Comment ça marche? La technologie repose sur la combinaison du développement de capteurs de reconnaissance de la matière et d’un tri robotisé à haute cadence, le tout animé par une intelligence artificielle propre. Concrètement, les déchets métalliques, chargés sur un tapis roulant, passent d’abord sous rayons X, infrarouges, laser et 3D. Grâce à ces informations, quelques mètres plus loin, des bras robotiques trient les déchets avec précision et rapidité. « Des mesures par rayon X permettent l’évaluation en temps réel de la densité de la matière », développe Robert Baudinet. « Un scanner 3D mesure les paramètres de forme et de volume des objets broyés. Une caméra hyper-spectrale mesure la réflectance des matériaux dans le visible et l’infrarouge. Un laser différencie les différents alliages des métaux. L’algorithme que nous avons mis en place va interpréter les données collectées pour chaque déchet pour ensuite ordonner au robot de le placer dans le bon bac ». Le traitement de ces données est réalisé par apprentissage automatique, une branche de l’intelligence artificielle. « Après apprentissage des différentes catégories souhaitées (aluminium, zinc, cuivre laiton, plomb, inox…), chaque nouveau fragment est attribué à une catégorie. La bande transporteuse tourne à plus d’un mètre par seconde. La technologie est capable de traiter, en une seule passe, jusqu’à 20 types de matériaux. Cette caractéristique la rend unique au monde. En effet, les systèmes actuellement utilisés pour traiter les métaux ne sont capables de séparer que deux familles simultanément. Enfin, l’acquisition 3D des pièces permet de choisir les points de préhension optimaux pour les robots à pinces ». 

Un tri intelligent pour un meilleur recyclage des matières premières. « Si on a un mélange de déchets métalliques avec du cuivre, du zinc, de l’aluminium, du nickel, il est difficile de le réutiliser en tant que tel directement », souligne Robert Baudinet. « Il est donc nécessaire d’être capable d’aller extraire chacun de ces métaux. Outre des métaux non-ferreux, notre technologie permet de trier des plastiques, des batteries et des métaux ferreux ».

De vendeurs de déchets à vendeurs de matériaux

Après une dizaine d’années de développement et de validation avec des partenaires industriels, la technologie est maintenant mature. « Elle se distingue d’autres systèmes dans le monde par notre capacité à traiter, avec une grande précision, une très grande quantité de déchets métalliques divers en une seule passe. Grâce à notre technologie, nos partenaires industriels peuvent raccourcir les boucles de recyclage et augmenter la valeur des déchets qu’ils traitent et revendent, ce qui leur permet de rentabiliser nos machines en un temps record ». L’objectif est de fournir des machines à des industriels afin de les aider à mieux séparer et trier les déchets. « Il s’agit d’une technologie de rupture qui permet aux industriels du déchet de passer de vendeurs de déchets à vendeurs de matériaux ». 

Le projet a franchi récemment une nouvelle étape stratégique avec la naissance de l’entreprise. Matvision srl bénéficie d’un financement de 160.000 euros issu de ses fondateurs et du centre de recherche Imec à travers son accélérateur de start-up Imec.istart, installé à La Grand Poste, qui apporte 50.000 euros, ainsi qu’un prêt convertible du même montant. La jeune entreprise bénéficiera, en outre, de l’expertise et des conseils stratégiques d’Imec.istart pour renforcer son développement à l’international. Enfin, les fondateurs s’apprêtent à lancer une levée de fonds « pour sécuriser plus de 1 million d’euros de financement d’ici septembre » et se donner les moyens de leurs ambitions. « Ce qu’on souhaite, c’est parvenir à convertir nos prospects en clients, en confirmant des ventes de machines et en les installant chez eux », se réjouit Robert Baudinet.

Relocaliser et améliorer le recyclage des métaux

Avec cette nouvelle technologie de tri, plutôt que de vendre les déchets métalliques hors de l’Europe, ce qui a un coût économique et écologique, Matvision entend relocaliser et améliorer le recyclage des métaux. « L’Europe consomme 20% de la production mondiale de métaux, mais n’en produit que 3% », précise Eric Pirard. « Il y a un déficit. Donc, c’est très important de ce point de vue-là que l’Europe veuille notamment garder sur son sol des métaux qui y sont. Et ça s’appelle le recyclage. Redonner vie aux métaux. C’est un des objectifs que nous poursuivons ». L’essentiel étant invisible pour les yeux, « seules des solutions multi-capteurs comme celles de Matvision seront capables à l’avenir d’assurer le tri de produits qui deviennent de plus en plus complexes. En se positionnant comme pionniers des techniques robotiques de tri des métaux, les ingénieurs wallons peuvent espérer jouer un rôle de tout premier plan dans le développement de l’économie circulaire à l’échelle internationale », souligne le professeur.

Marché mondial

En 2025, la commercialisation est lancée. Le marché est vaste, d’abord constitué des recycleurs industriels en Belgique, en Europe et enfin dans le monde. Le démantèlement des voitures et des appareils électroménagers est la première source de déchets métalliques pour lesquels l’entreprise apporte une solution de tri performante, en particulier pour les métaux stratégiques comme le cuivre, l’aluminium et le nickel. Il existe actuellement 350 recycleurs de voitures en Europe, et compte tenu des développements industriels basés sur le recyclage, le marché potentiel est plus large encore. 

Mativision vise maintenant la croissance, avec quatre projets commerciaux en discussion pour des clients recycleurs en Belgique et en France. « Notre objectif est d’arriver à vendre plus de dix machines d’ici 2028 », précise le CEO. « Aujourd’hui, nous voulons nous orienter rapidement vers l’international pour toucher un marché plus large. A présent que la technologie du prototype a été validée, il est temps pour nous de la commercialiser et de la fournir partout dans le monde ».

Cet article a été écrit par Jacqueline Remits pour la Revue W+B n°168.

L’équipe de Matvision © Emilie Flament
Convertir les déchets industriels en véritables ressources, telle est la mission que s’est donnée la spin-off liégeoise Matvision © ULiège - Michel Houet
© ULiège - Michel Houet
© ULiège - Michel Houet

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